Clément Nedoncelle
Sommaire
- Introduction
- Impact des chocs climatiques sur le commerce dans les pays les moins avancés.
- Chocs climatiques affectant les exportateurs étrangers.
- Quatre résultats principaux
- Conclusion et perspectives
- Pour en savoir plus
Introduction
Les chocs climatiques représentent une menace croissante pour les activités commerciales mondiales. Chaque semaine de nouveaux phénomènes météorologiques affectant les activités économiques de production ou de distribution des biens se produisent. Par exemple, les surplus ou déficits de précipitations affectent la production agricole ou encore les inondations affectent les infrastructures de transport. Avec l’intensification des chocs climatiques due au changement climatique, il devient essentiel de comprendre à quel point, pourquoi et comment les chocs climatiques influencent le commerce international afin de concevoir des stratégies d’adaptation efficaces.
Le commerce international est un pilier de la croissance et du développement économique. Il repose sur des chaînes d’approvisionnement stables, des entreprises confiantes dans leurs processus de production et réactives à la demande qui leur est adressée. A titre d’illustration, les rapports récents mettent en évidence que les dirigeants des multinationales voient le changement climatique comme l’une des principales menaces pesant sur leurs activités, et ce bien davantage que des risques plus directs comme les risques géopolitiques ou la concurrence de nouveaux acteurs dans le monde.
Globalement, l’ensemble des déterminants classiques du commerce international (capacités de production, volatilité de la demande, perturbations du transport) sont de plus en plus perturbés par les chocs climatiques, et mettent en péril la stabilité des économies et la compétitivité des entreprises. La littérature académique existante a mis en avant l’effet négatif des chocs climatiques sur les montants échangés internationalement dans différents contextes (Jones and Olken, 2010; Karlsson, 2021). Dans ce cadre, deux études récentes apportent des éclairages nouveaux sur ces dynamiques.
Les modèles climatiques prévoient une augmentation des effets du changement climatique en particulier dans les pays les moins avancés (Bathiany et al., 2018). Ces pays en développement sont particulièrement vulnérables au changement climatique en raison notamment de leur dépendance vis-à-vis de secteurs sensibles au climat et de l’accès limité aux technologies d’adaptation. Ces variations climatiques ont ainsi une double influence sur le commerce. Tout d’abord, la production locale est directement affectée. La première étude (Nedoncelle and Wolfersberger, 2024) explore l’impact des chocs climatiques « locaux » sur les exportateurs des pays à revenu faible et intermédiaire. Cette étude met en lumière la résilience des grandes entreprises par rapport aux petites entreprises, et ses implications pour le commerce international agrégé. Ensuite, les variations climatiques affectent indirectement la demande locale, et in fine, les exportateurs étrangers servant ce marché. Ainsi, la seconde étude (Nedoncelle, 2024) examine comment les chocs climatiques à l’étranger influencent les exportateurs français via un effet de demande.
Au-delà de la quantité échangée, les deux articles montrent que toutes les entreprises qui exportent ne sont pas affectées de la même manière par les chocs climatiques « locaux » et à l’étranger. Les variations climatiques entraînent ainsi des réallocations de parts de marché entre les entreprises d’un même secteur, avec des conséquences importantes à long terme.
Impact des chocs climatiques sur le commerce dans les pays les moins avancés.
Dans la première étude, nous avons utilisé plusieurs bases de données de douanes de 9 pays (Burkina Faso, Guatemala, Jordanie, Mexique, Malawi, Pérou, Sénégal, Uruguay et Yémen) entre 1993 et 2013. Ces bases de données renseignent les montants exportés par chacune des entreprises de ces pays. Nous avons croisé ces informations avec des données (provenant de la Climatic Research Unit, CRU) sur les précipitations et les températures de ces mêmes pays, capturant les effets des variations météorologiques. Nous estimons économétriquement l’impact des variations météorologiques sur les montants échangés dans une équation de gravité au niveau de chaque firme. Sans surprise, nous mettons en évidence l’impact négatif des variations météorologiques sur les montants échangés: une augmentation de 1°C des températures entraîne une diminution des exportations d’environ 5,6 % en moyenne, tandis qu’une augmentation de 1 % des précipitations totales est associée à une baisse de 0,3 % des exportations.
Nous estimons également l’impact de chocs météorologiques sur les montants exportés selon la taille des entreprises exportatrices. Plusieurs raisons théoriques nous amènent à tester cette hypothèse. Tout d’abord, contrairement aux petites entreprises, les grandes entreprises disposent des ressources nécessaires pour investir dans des technologies d’adaptation, comme l’irrigation. De plus, les grands exportateurs utilisent davantage d’intrants importés, ce qui réduit leur dépendance aux conditions climatiques locales. Ensuite, les grandes entreprises, avec des ratios capital-travail plus élevés, sont moins affectées par la baisse de productivité du travail due aux températures élevées. Enfin, les grandes entreprises emploient plus de travailleurs qualifiés, mieux protégés des chocs climatiques grâce à des technologies comme la climatisation.
Nos résultats empiriques confirment cette hypothèse. La figure 1 ci-dessous montre que, quel que soit le pays observé, les grandes entreprises sont plus résilientes aux chocs climatiques. Face à une variation des températures, les entreprises dans le haut de la distribution (top 10% ou top 5%) sont affectées négativement, mais bien moins que les entreprises du bas de la distribution (bottom 5% ou 10%). Ce résultat tient tout autant pour les températures que pour les précipitations. Tandis que les petites entreprises connaissent une élasticité des exportations de -0,3 à -0,5 face aux changements de températures et de précipitations, les grandes entreprises présentent une élasticité proche de -0,1.
Cette hétérogénéité des effets entre entreprises d’un même pays a des répercussions importantes, à court et long termes. Premièrement, à l’échelle nationale, les exportations totales sont davantage pénalisées si elles émanent de petites entreprises, qui sont plus vulnérables aux variations de précipitations et de températures. Malheureusement, les pays les plus vulnérables aux chocs climatiques sont aussi ceux dont les exportations reposent le plus sur ces petites firmes peu résilientes (Fernandes et al., 2016).
En utilisant des données sur les projections climatiques dans le futur, notre analyse met en avant plusieurs résultats prospectifs. Premièrement, le volume des exportations diminue au fil du temps dans les pays étudiés. Le scénario le plus pessimiste (RCP 8.5) prévoit que les exportations chutent de 10 % en moyenne en raison des nouvelles conditions climatiques, alors que le scénario le plus optimiste entraînerait des pertes relativement marginales (figure 2). Deuxièmement, les trajectoires varient fortement selon les pays. Par exemple, les pertes d’exportations sont plus importantes au Malawi qu’en Uruguay. Troisièmement, ces différences entre pays s’expliquent davantage par leurs structures économiques que par leurs expositions différentes aux chocs climatiques. Même si le Malawi avait les mêmes conditions climatiques que l’Uruguay dans le futur, le Malawi verrait ses exportations plus largement affectées dans la mesure où elles reposent davantage sur des petites firmes peu résilientes.
Figure 1 : Effet différentiel des variations de températures et de précipitations sur les exportations, par pays et par groupe de firmes. (adapté de Nedoncelle and Wolfersberger, 2024)
Cette hétérogénéité des effets entre entreprises d’un même pays a des répercussions importantes, à court et long termes. Premièrement, à l’échelle nationale, les exportations totales sont davantage pénalisées si elles émanent de petites entreprises, qui sont plus vulnérables aux variations de précipitations et de températures. Malheureusement, les pays les plus vulnérables aux chocs climatiques sont aussi ceux dont les exportations reposent le plus sur ces petites firmes peu résilientes (Fernandes et al., 2016).
En utilisant des données sur les projections climatiques dans le futur, notre analyse met en avant plusieurs résultats prospectifs. Premièrement, le volume des exportations diminue au fil du temps dans les pays étudiés. Le scénario le plus pessimiste (RCP 8.5) prévoit que les exportations chutent de 10 % en moyenne en raison des nouvelles conditions climatiques, alors que le scénario le plus optimiste entraînerait des pertes relativement marginales (figure 2). Deuxièmement, les trajectoires varient fortement selon les pays. Par exemple, les pertes d’exportations sont plus importantes au Malawi qu’en Uruguay. Troisièmement, ces différences entre pays s’expliquent davantage par leurs structures économiques que par leurs expositions différentes aux chocs climatiques. Même si le Malawi avait les mêmes conditions climatiques que l’Uruguay dans le futur, le Malawi verrait ses exportations plus largement affectées dans la mesure où elles reposent davantage sur des petites firmes peu résilientes.
Figure 2 : Exportations prédites par le modèle économétrique (adapté de Nedoncelle and Wolfersberger, 2024).
Chocs climatiques affectant les exportateurs étrangers
Au-delà des répercussions directes sur la production, les conditions climatiques locales peuvent également influencer les exportations étrangères par des mécanismes de demande. En effet, du point de vue d’un exportateur, les chocs climatiques à l’étranger peuvent avoir plusieurs effets. Premièrement, les chocs climatiques, comme tout choc extérieur, peuvent réduire la production, les revenus et le PIB étranger, ce qui diminue la demande d’importations et les ventes. Il s’agit essentiellement d’un mécanisme de demande.
D’un autre côté, les chocs climatiques peuvent modifier la concurrence sur le marché étranger. Prenons l’exemple d’un choc climatique au Mexique. Les entreprises locales mexicaines pourraient être affectées par ce choc (en raison de baisses de productivité du travail, d’une réduction de l’offre de main-d’œuvre et d’une diminution des rendements agricoles), ce qui impacterait la présence des entreprises locales sur le marché. Par ailleurs, ce changement dans la concurrence locale pourrait entraîner des ajustements d’équilibre général dans la concurrence étrangère (par exemple, en provenance des États-Unis). En conséquence, la concurrence à laquelle fait face une firme française au Mexique est modifiée.
La deuxième étude (Nedoncelle, 2024) teste formellement ces deux hypothèses (demande et concurrence) et analyse comment les variations climatiques étrangères affectent les exportations des entreprises françaises.
L’analyse repose sur des données désagrégées au niveau des entreprises provenant des Douanes françaises, couvrant la période de 1995 à 2009. Elle combine ces données d’exportation au niveau des entreprises avec des données climatiques (provenant également de la CRU) permettant de capturer les conditions climatiques moyennes dans les pays de destination. L’étude prend en compte l’ensemble des exportateurs français et utilise l’occurrence exogène de chocs de température dans les destinations desservies par ces entreprises. Elle estime l’impact des températures sur les valeurs exportées, tout en contrôlant des effets des chocs climatiques en France, de la distance vers la destination, et d’autres déterminants classiques du commerce. En plus de l’effet moyen, l’étude évalue l’impact différencié des chocs climatiques sur les exportations des entreprises françaises? confrontées aux mêmes conditions météorologiques dans le marché de destination.
Quatre résultats principaux
Premièrement, les exportations au niveau des entreprises sont, en moyenne, peu affectées par les températures étrangères, en accord avec des études précédentes. Deuxièmement, cet effet moyen modeste masque un effet différentiel important entre les exportateurs. En mobilisant une large gamme de données sur les caractéristiques des entreprises, l’impact des chocs climatiques étrangers varie selon la taille des entreprises. Plus l’entreprise est grande, plus l’effet sur les ventes et les exportations dans cette destination est négatif. À l’inverse, les exportations des petites entreprises sont peu affectées par les chocs climatiques étrangers.
Troisièmement, l’explication principale de cet impact négatif des températures est liée à la demande d’importations, et non pas à une question de concurrence. Les pays confrontés à des chocs climatiques locaux modifient leur demande d’importations, ce qui affecte les exportateurs étrangers. Ce résultat suggère que les grandes entreprises sont plus affectées par les chocs de demande à l’étranger que les petites entreprises, confirmant ainsi des travaux en économie internationale portant sur d’autres chocs.
Enfin, les résultats suggèrent que les températures étrangères et leurs effets différentiels entre exportateurs génèrent des réallocations de parts de marché. En effet, les températures réduisent les ventes relatives des « grands » exportateurs, qui sont productifs et à bas prix dans une destination donnée. Lorsque les températures étrangères augmentent, les exportations se tournent davantage vers les petites entreprises, moins productives. Cet effet est particulièrement important car à mesure que les grandes entreprises réduisent leur présence sur ces marchés, les consommateurs risquent de se tourner vers des fournisseurs moins productifs, ce qui pourrait entraîner une baisse de la qualité des biens et des intrants importés et/ou une hausse des prix des importations.
Conclusion
En conclusion, ces deux analyses mettent en lumière les effets des chocs climatiques sur les exportations, tant pour les firmes locales que pour les exportateurs étrangers. Ces études mobilisent des bases de données microéconomiques détaillées, encore peu utilisées dans la littérature sur les impacts du changement climatique, et révèlent l’importance de considérer les effets hétérogènes des chocs climatiques, notamment au sein des secteurs économiques. Les résultats montrent clairement que les impacts des variations climatiques ne sont pas homogènes : ils diffèrent significativement en fonction de la taille des entreprises exportatrices et des spécificités locales.
Plus globalement, ces mécanismes complexes — notamment de réallocation de parts de marchés au sein des secteurs — ne peuvent généralement pas être observés dans les données macroéconomiques habituellement utilisées pour étudier ces questions. Les données agrégées sur l’économie d’un pays ne permettent pas de saisir ces dynamiques au niveau des entreprises, où les effets peuvent être très différents en fonction de la taille des entreprises en particulier.
Nos travaux soulignent enfin la nécessité pour les économistes de tenir compte de l’hétérogénéité des entreprises et des mécanismes spécifiques aux marchés dans leurs modèles de commerce et de résilience climatique.
Pour en savoir plus :
Nedoncelle, C., 2024, Preprint : https://hal.inrae.fr/hal-02965228
Nedoncelle C., and J.Wolfersberger, 2024, Preprint: https://hal.inrae.fr/hal-03753384
Bibliographie
Bathiany, S., Dakos, V., Scheffer, M., and Lenton, T. M. (2018). Climate models predict increasing temperature variability in poor countries. Science Advances 4: eaar5809.
Fernandes, A. M., Freund, C., and Pierola, M. D. (2016). Exporter behavior, country size and stage of development: Evidence from the exporter dynamics database. Journal of Development Economics 119: 121–137.
Jones, B. F., and Olken, B. A. (2010). Climate Shocks and Exports. American Economic Review 100: 454–459.
Karlsson, J. (2021). Temperature and Exports: Evidence from the United States. Environmental and Resource Economics 80:3 11–337.
Nedoncelle, C. (2024). Exporters under foreign heat. Oxford Economic Papers 76: 1014–1032.
Nedoncelle, C., and Wolfersberger, J. (2024). Weather shocks and firm exports in developing countries. Review of World Economics.